Henry James à Chenonceaux.
Henry James est un écrivain américain qui adore les voyages, ce n'est pas un avaleur de paysage, de châteaux ou de vieilles demeures. Il satisfait avant tout son goût pour l'esthetique. Et c'est dans son livre "Voyage en France" qu'il retrace son voyage en Touraine, une Touraine qu'il affectionne particuliérement. A cet époque, pas de voiture, on marche beaucoup, on se fie à ses jambes et aux chevaux, les trains sont souvent des petits tortillars peu enclin à la rapidité et Henry James ne se plaint jamais.
Son voyage en France commence à Tours, probablement parce que c'est la ville natale de Balzac qu'il considérait comme "le pére du roman moderne". Ainsi c'est un voyage simple et peu onéreux qu'effectuera l'auteur américain dans le jardin de la France.
Tiré du livre de James voici un petit extrait de sa visite au château de Chenonceau, château que je connais bien car il n'est qu'à quelques kilométres de chez moi .
"Ce furent une extraordinaire bénédiction que les quelques heures que nous passâmes dans cette exquise résidence qu'est Chenonceau.
Je crains que la plus élémentaire décence m'oblige donc à rendre hommage à ce joyau architectural de la Touraine.
Par bonheur, je peux m'acquitter de cette dette avec gratitude. Au départ de Tours,on quitte la vallée de la Loire pour entrer dans celle du Cher, et environ une heure plus tard, on peut voir les tourelles du château sur sa droite, au milieu des arbres, dans les prairies qui bordent la tranquille petite riviére. La gare et le village sont à une dizaine de minutes à pied du château, et le village a une auberge trés bien tenue où, si vous n'êtes pas trop pressé de rencontrer les ombres de la favorite du roi et de la jalouse reine,vous vous arrêterez pour commander le dîner qui vous attendra le soir. Une grande avenue droite méne au domaine du château.
La façade jaune pâle du château, dont les proportions modestes surprennent de prime abord, se dresse à l'extrémité d'une trés vaste cour dont une tour massive et indépendante, au front agrémenté d'une tourelle (vestige du bâtiment qui a précédé la villa actuelle), semble garder l'entrée. La cour n'est pas fermée ou, du moins, elle ne l'est que par des jardins dont on est en train de bouleverser certaines parties. Bien que Chenonceau ne soit pas trés haut, sa façade délicate donne le sentiment d'une hauteur assez audacieuse. Cette façade, qui compte parmi ce que la Touraine montre de plus achevé, se compose de deux étages surmontés de combles qui, comme souvent dans les constructions de la Renaissance française, sont les parties les plus riches de la maison. Le toit en pointe est percé de trois fenêtres d'un trés beau dessin, surmontées de pignons dentelés qui fleurissent en flèches crochetées. La fenêtre qui surmonte le portail est creusée de niches profondes ;elle ouvre sur un balcon qui a la forme de deux chaires qui est un des traits les plus charmants de la façade.
Chenonceau, je l'ai dit, n'est pas grand mais renferme, sous son petit volume délicat, beaucoup d'histoire: une histoire qui se distingue de celle d'Amboise ou de Blois en ce qu'elle est d'ordre privé et sentimental. C'est un endroit où les échos, si assourdis et lointains qu'ils soient aujourd'hui, ne sont pas politiques mais personnels.
La résidence de Chenonceau remonte à 1515, date à laquelle Thomas Bohier éleva l'édifice actuel sur les fondations d'un ancien moulin. Ala mort de Bohier, la maison passa à son fils qui fut contraint de la céder à la couronne. François 1er fut maître des lieux jusqu'à sa mort mais, en montant sur le trône, Henri III l'offrit immédiatement à Diane de Poitiers, mûre égérie de deux générations. Diane en eut la jouissance jusqu'à la mort de son protecteur mais à cette date, la veuve du monarque, qui avait dû se soumettre en silence pendant des années à la domination de sa rivale, exerça la vengeance la plus pardonnable de toutes celles aux-quelles le nom de Catherine de Médicis est associé,et la chassa.
Diane n'était pas à court de refuges et Catherine y mit les formes :elle lui offrit Chaumont en échange; mais il n'y avait qu'un seul Chenonceau.
Nous franchîmes le petit pont-levis pour nous promener un moment le long de la riviére. Vue de la berge opposée, la masse du château était plus charmante que jamais;et,petite riviére pacifique et paresseuse, le Cher, où deux ou trois hommes pêchaient dans le soir, coulait sous les arches dégagés et entre les piles massives de la construction qui l'enjambait, caressé par la plus tendre et la plus indécise des lumiéres. C'est bien là qu'il fallait se placer; nous étions en train de regarder de l'autre côté du fleuve du temps. Tout ce spectacle était d'une douceur délicieuse. La lune se leva; nous franchîmes de nouveau la galerie et nous promenâmes un peu davantage dans les jardins. Rien ne bougeait. Voici un extrait des articles de Henry James sur son voyage en France. Si vous avez déjà visité le Château de Chenonceau, vous retrouverez facilement les endroits décrits par Henry James, en effet, peu de choses ont changé depuis la fin du XIX éme siécle. Dans le même théme, je vous invite à lire ce qu'a écrit l'Abbé Casimir Chevalier en 1869 sur la château de Chenonceau.
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